Trop peu présent sur les cimaises normandes, le Havrais Régis Maréchal est un artiste auquel nous vouons une très grande estime. Ancien élève de l'Ecole des Beaux-Arts du Havre, ce solitaire explore les méandres de la pantomime humaine. Pendant tout le mois de mai, le Théâtre du Moulin d'Andé présente une sélection de ses travaux récents. Une occasion originale de découvrir l'univers sans pareil du peintre. Atypique par sa facture, la peinture de Régis Maréchal est un cocktail de dérision, d'inquiétude et d'émerveillement. Ses outrances caricaturales, qui font passer du rire aux larmes et de la farce à la tendresse, n'ont d'autre objet que d'éperonner l'absurdité de la comédie humaine. Ne nous méprenons pas cependant. Maréchal n'est pas plus misanthrope que cynique, mais il sait voir ce qui se trame derrière les masques. Les visages qui s'y dissimulent ont de quoi effrayer le chaland. Au cours de l'année 1994-1995, le peintre havrais prit part à une exposition réunissant treize des anciens élèves de Jean Maufay, dans les somptueux salons de l'Hôtel de Ville du Havre, manifestation mémorable à laquelle participaient, entre autres figures, Michel Mangard, Denis Rivière, Denis Pouppeville et Bernard Xenakis, chacun d'eux ayant en commun la culture de l'imaginaire. Dans les images de Maréchal, entre rêve et cauchemar, enfer et paradis, l'homme et la femme naviguent, hagards et désemparés, jouant parfois un rôle qu'ils n'ont pas forcément choisi. Malmenés par le cours du destin, ils ressemblent souvent à des nageurs à la dérive, tentant de s'accrocher au moindre tronc flottant. Les personnages du peintre traduisent par leur posture le peu d'emprise qu'ils ont sur la réalité. Heureusement, il subsiste chez certains d'entre eux une part d'enfance qui les maintient à la surface de l'eau. C'est le triomphe de l'innocence sur l'égoïsme meurtrier, la revanche de la poésie sur la froideur régnante. Chez Maréchal, l'étrangeté fait sans cesse irruption dans le quotidien. Il pratique pourtant une peinture populaire. Nous entendons par là qu'elle peut toucher tout un chacun sans référence à un savoir particulier. Haut en couleur, cet univers baroque révèle ce que les hommes ont dans la tête. Leurs fantasmes comme leurs chimères, leurs amours comme leurs rêves brisés. Très avare de parole quand il s'agit de sa peinture, Maréchal préfère laisser au spectateur la liberté de sa lecture. Les scènes qu'il nous propose nous concernent tout autant que lui. Elles racontent une histoire qui pourrait bien être la nôtre. Les destins se ressemblent. On naît, on essaie de grandir et le temps, peu à peu, fait son travail de sape. La liberté de l'esprit est le seul antidote à la débâcle générale, aux ravages du monde extérieur. Maréchal s'engage à fond dans ce qu'il fait. Il peint avec toutes ses fibres. Pour lui, le jeu social n'est, pour la plupart du temps, que mascarade. Nos attentes les plus profondes n'y trouvent guère d'écho. Nous sommes tous embarqués dans la nef des fous qui peut aussi bien prendre l'aspect d'une gondole. Le carnaval est dans la ville. Mais les danseurs rient jaune. Ils savent bien que la fête n'est elle-même qu'une illusion, comme ces bulles qui éclatent en volant vers les cieux. D'une richesse assez audacieuse, la palette de Maréchal donne de l'éclat à sa peinture, toute pétrie d'émotion. Elle compense la dureté que pourrait prendre certaines scènes. C'est le sourire que l'âme oppose à tout ce qui la nie. La tendresse chez lui se cache, comme le sable sous les rochers. Les affiches Normandes - Exposition au Théâtre du Moulin d'Andé Maréchal ou l'irruption de l'étrange Succédant à Patrick Boulnois, le peintre Régis Maréchal sera, pour tout le mois de mai, l'invité du Moulin d'Andé. Auteur d'un monde baroque mêlant l'étrange au quotidien, cet artiste nous révèle des oeuvres jamais exposées. La peinture est faite pour l'oeil Chez Régis Maréchal, l'étrange fait sans cesse irruption dans le quotidien, envahissant sans crier gare les scènes les plus familières ou cocasses. Ne comptez pas sur lui pour vous expliquer sa peinture. Il parle avec mesure, économie et beaucoup de pudeur sans doute. La peinture, de toute façon, est faite pour l'oeil, pas pour le discours. C'est un langage à part entière, qui tour à tour crie ou chuchote dans les recoins de l'âme. Il faut simplement l'accueillir, la recevoir sans lui opposer d'a priori. Les oeuvres de Maréchal possèdent une charge émotionnelle dont on a finalement peu d'exemples dans la peinture contemporaine, qui très souvent proscrit le sentiment et les affects comme autant de valeurs caduques ! Régis Maréchal, à l'inverse, engage son être tout entier dans ce qu'il fait, comme un enfant dont le système en place n'aurait pas encore massacré l'innocence. Nous le tenons, personnellement, pour un artiste de grande valeur, un peintre accompli qui, nous l'affirmons, n'a pas encore été salué au niveau qui est le sien. Le savoir accueilli au Théâtre du Moulin d'Andé nous conforte dans le soutien que nous souhaitions, depuis longtemps, lui apporter. Ne négligeons pas cette exposition. Elle n'est pas de celles qui laissent le visiteur indifférent. Lui Porquet " Depuis toujours, les artistes havrais
détiennent ce quelque chose dans leur manière et leur créativité
qui non seulement les distingue, mais amène au florilège
normand et national, une singularité pleine de sève et d'audace,
même lorsqu'il s'agit de peindre la réalité, par exemple. André Ruellan, Critique d'Art " L'inquiétude et l'émerveillement peuvent-ils cohabiter en une même oeuvre ? Pas moins sans doute que dans le cours normal d'une vie ! Mais nos langages contemporains ont tant banalisé le monde, que le regard non exercé n'y voit plus rien d'extravagant, même pas l'horrible. Il semble que nous soyons continuellement placés sous le diktat du rationnel et de l'utilitaire. Aussi, sommes-nous sujets à d'étranges frémissements lorsque surgissent devant nos yeux des images peu conformes à l'ennui ordinaire, à la tiédasse réalité dont les crimes mêmes nous sont cachés. Et pourtant ! Chassez le surnaturel, il revient au galop ! C'est un peu ce que l'on ressent face aux travaux de MARECHAL, voyageur immobile qui s'applique à peindre des rêves. A ceci près que ces rêves-là prennent souvent l'allure du cauchemar. Le monde que s'est créé l'artiste met en scène le théâtre humain dans ce qu'il a de dérisoire et de cruel, mais il ménage à l'oeil des espaces d'évasion qu'accentue une perspective singulièrement dramatisée. Nous pourrions être en fait sur le " Radeau de la Méduse " ou assis au sommet de la Tour de Babel... mais une gondole, un paquebot, un papillon ou les arceaux d'un pont rendent la fuite possible, l'évasion encore opérante. Pour fantastique qu'il apparaisse, on a envie de s'abstraire de ce magma humain dont les obscènes métamorphoses, le dédoublement permanent, l'aveuglement sans nom ont de quoi vous saisir à la gorge [...] " Louis Porquet |